Linea Nigra de Sophie Andriansen

Le confort de la césarienne

Linea nigra Sophie Adriansen

« J’ignorais que le bonheur pouvait être aussi violent. Qu’il pouvait cogner aussi fort. Qu’il pouvait faire aussi mal. Je n’étais pas préparée. »

Sophie Adriansen a du métier. Alors quand elle s’attaque à la question de la maternité, elle n’a pas peur de livrer un ouvrage atypique, qui mêle récit romanesque, réflexions personnelles, témoignages et citations littéraires. Le tout saupoudré de vignettes informatives qui témoignent d’un important travail de documentation. Si cette forme peut, au début, se révéler déconcertante, le lecteur se laisse vite entraîner dans l’aventure que traverse la narratrice.

Stéphanie, la trentaine qui doute de tout, fait la connaissance de Luc, un chic type, indéniablement. Leur relation évolue peu à peu, entre prudence et emballement. Malgré sa propension à se faire des nœuds dans la tête, Stéphanie se laisse conduire par son désir d’enfant. Un obstacle, pourtant, devrait la retenir, et de taille : son angoisse d’accoucher. Une vraie angoisse bien solide qu’elle tente de traiter en se représentant l’accouchement de toutes les manières possibles. Las ! La chose est bien enracinée. Et ce n’est pas sa délicieuse mère qui va l’aider à s’en dépêtrer…

Lorsqu’une grossesse s’annonce, c’est tout naturellement qu’elle s’interroge sur la manière d’échapper à l’accouchement.

« Une césarienne de confort. Voilà ce qu’il me faudra. […] On endormira un peu de mon corps, on ouvrira, on prendra le bébé que j’aurai porté, on refermera puis le temps fera son œuvre. Je ne me rendrai compte de rien. Et mon sexe sera intact. […] Et la question de la peur d’accoucher définitivement réglée. »

Quelqu’un pour lui faire une « césarienne de confort » ? N’ayant que peu d’informations sur la chose, elle n’envisage pas ce que ces deux termes ont d’antinomique.

L’on suit donc cette héroïne moderne dans ses pérégrinations obstétricales et si cette grossesse est heureuse, elle n’en demeure pas moins inquiétante.

Sophie Adriansen réussit un joli roman sur la grossesse et sur les peurs ancestrales de l’accouchement. Si, autrefois, le risque élevé de périr en couche confrontait la parturiente au réel de la mort, l’accouchement par voie basse, aujourd’hui et sous nos latitudes, convoque plutôt l’imaginaire avec son idéalisation grandissante d’une naissance naturelle et sans péridurale.

« […] l’accouchement par voie basse aurait été le moyen d’enfin sentir que je suis mammifère. Et d’enfin savoir si je suis courageuse ou pas. […] Mais si l’accouchement est un rite de passage, alors je ne suis pas vraiment une mère, pas vraiment une femme. »

De nos jours, l’angoisse de mourir se mue en angoisse de ne pas être capable d’affronter l’épreuve de l’enfantement, et la souffrance prend valeur de rite initiatique qui, seul, pourrait garantir qu’on devient mère. L’énoncer suffit parfois à faire déconsister les fantasmes et exigences surmoïques qui se logent à cet endroit. À cet égard, on notera que les femmes et les mères, si promptes à se j(a)uger, n’ont nul besoin d’ennemi…

Linea nigra figure la ligne de partage imaginaire qui traverse la grossesse et oriente chaque femme dans ses choix. Les questions que souligne l’auteure ne sont pas sans rappeler celles que les femmes viennent traiter dans le cabinet de l’analyste quant à la féminité et au devenir mère.

Dans son cheminement, Stéphanie rencontre des soignants et des praticiens de toutes sortes. On ne peut qu’être frappé par leur difficulté à entendre les questions qui dérangent sans y plaquer des réponses toutes faites. J’ai noté celle-ci, qui relève, à mon sens, de la violence de l’interprétation quand une sage-femme déclare à la narratrice :

 » Je ne sais pas s’il y a vraiment des bébés qui ne veulent pas sortir. En revanche, il y a des mères qui changent d’avis, et qui n’ont plus envie que leur bébé vienne. »

Cela fait, pour moi, écho à tant de petites phrases terrifiantes et/ou maladroites rapportées par mes patientes, secrètement blessées par des paroles inconsidérément prononcées dans ces moments d’immense fragilité où chaque mot devrait être soigneusement pesé. L’art de parler à bon escient manque à être enseigné…

« Existe-t-il des endroits où déposer ce récit pour s’en défaire une fois pour toutes (adresses, s’il vous plaît) ? » demande Stéphanie en plein désarroi. Mmm… J’ai bien une petite idée…

Françoise Guérin


Linea nigra, Sophie Adriansen, Éditions Fleuve, 2017


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