Le bruit du rêve contre la vitre. ITW d’Axel Sénéquier

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Françoise Guérin : Bonjour Axel Sénéquier et merci d’avoir répondu à mon invitation. Vous nous présentez votre nouveau recueil de nouvelles paru en avril 2021 aux Éditions Quadrature. Il a pour titre : Le bruit du rêve contre la vitre.

Tout d’abord, question indiscrète, qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture ?

Axel Sénéquier : J’ai toujours ressenti le besoin de m’exprimer d’un point de vue artistique. J’ai pratiqué du théâtre, de l’improvisation, j’écris des nouvelles, des romans, des essais… L’écriture est le domaine dans lequel je m’épanouis le plus. La liberté est totale, j’aime la richesse de la langue. Les possibilités sont innombrables : on peut jouer sur le rythme, la poésie, la mélodie des mots, le suspens, l’humour, les sentiments. L’art consiste à créer quelque chose à partir de rien. Fouiller à l’intérieur de soi pour en tirer une œuvre. C’est à la fois terrifiant et fascinant. L’écrit embarque le lecteur dans un nouvel univers, l’absorbe totalement dans une dimension créée par l’auteur. Et se dire que l’œuvre survivra est vertigineux.

FG : Pourquoi la nouvelle ?

AS : J’aime ce format nerveux et efficace. En quelques lignes, le décor, l’ambiance, les personnages, tout doit être posé. Il ne doit rester plus de gras dans le texte, seulement l’histoire qui progresse inexorablement vers son dénouement. Je passe beaucoup de temps à couper dans mes nouvelles. Pour chaque phrase, je me demande si elle apporte quelque chose. Au cinéma, ce n’est jamais le réalisateur qui effectue le montage de son film. Il doit couper sans état d’âme quand un plan n’apporte rien à la narration. J’essaie d’avoir ce même regard extérieur sur mon travail. Quand, au terme de la nouvelle, le lecteur est frustré, c’est que le texte est abouti.

FG : Quelles sont vos influences ?

AS : En littérature Edmond Rostand, Romain Gary, Karine Tuil ou Carole Martinez entre autres. Mais je suis très curieux et je suis influencé par beaucoup de disciplines : le street-art avec Banksy ou Invader, la chanson française, la bande dessinée avec Philippe Geluck ou Pénélope Bagieu, la peinture de Van Gogh, l’architecture, la cuisine, la danse, le cinéma ou les séries (Breaking Bad m’a époustouflé), l’humour de Blanche Gardin ou Kyan Khojandi. Tout ce qui implique de la créativité m’intéresse. Je suis perméable au monde.

FG : Qu’est-ce qui déclenche votre écriture aujourd’hui ?

AS : J’ai compris que l’écriture était un muscle et écrire un métier. Je n’attends plus l’inspiration, je me colle à mon ordinateur et je travaille. Certains jours, c’est facile, d’autres laborieux, mais je réponds présent. J’ai longtemps attendu l’idée géniale… en vain. Aujourd’hui, je sais que toutes les histoires ont été racontées. Ça n’empêche pas d’y mettre ma patte. Je suis en permanence à l’affût des idées, j’observe beaucoup, j’écoute, je note dans un carnet, j’annote, je remplis ma boîte à idées et je me constitue des stocks d’images, d’anecdotes, de dialogues.

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FG : Alors, comment est né ce nouveau recueil ?

AS : Comme tout le monde, j’ai été stupéfait par l’irruption de la pandémie et ses conséquences concrètes sur nos vies. Du jour au lendemain, nos vies se sont encalminées, les villes se sont vidées, l’économie s’est arrêtée. Depuis ma fenêtre, j’ai observé cela avec stupéfaction et fascination. Comme si tout ce qu’on nous racontait depuis des années était faux. Comme si la vie nous avait pris au mot. Tu veux du temps ? En voilà. Tu rêves de changer le monde ? Vas-y. La mort a fait irruption, la peur. J’ai eu besoin de mettre tout cela à distance, de le raconter, d’en rire, d’ouvrir les fenêtres derrière lesquelles on était retenus prisonniers. J’ai écrit d’abord sur ce qui me concernait, l’école à la maison, les animaux dans les rues… puis je me suis projeté et j’ai composé les douze nouvelles.

FG : Vous avez choisi un titre magnifiquement évocateur. Pourriez-vous nous en parler ?

AS : Le bruit du rêve contre la vitre évoque cette vie enfermée qui se cogne au carreau, inlassablement, obstinément, sans comprendre qu’elle ne peut s’échapper. Nos rêves tournaient en rond, il a fallu ouvrir les fenêtres. Dans tous les sens du terme. Certains ont eu la sensation que leur boulot ne servait à rien, d’autres ont ressenti la pression sociale lors des apéros Zoom, des gens sont morts seuls, chez eux, les urgences ont été débordées. Les effets de loupe et d’accélération du confinement et du Covid-19 ont eu des conséquences dévastatrices ou salvatrices, c’est selon. La nature a repris ses droits, notre frénésie a été stoppée. J’ai essayé de mettre la pandémie à distance et de questionner cette époque, qui se croyait peut-être trop sûre d’elle-même.

FG : Y a-t-il une nouvelle vous semble emblématique de ce recueil ?

AS : Évidemment, je les aime toutes, mais j’ai mes chouchous. Le chemin de l’école est peut-être la plus représentative de ce que j’ai vécu. J’ai attaqué le confinement plein d’entrain, me disant que j’allais passer du temps avec mes enfants, les initier à la musique, aux arts, à la cuisine, qu’on rirait, qu’on s’amuserait tous ensemble… rien ne s’est passé comme prévu. Disons que mes enfants n’avaient pas précisément les mêmes plans. Au bout d’une semaine à se crier dessus en pyjamas, j’ai dû lâcher prise. Si je vous raconte qu’on a fait des rétrospectives Almodovar ou qu’on a relu Dostoïevski, ne me croyez pas ! On a fait comme on a pu. On a survécu à cinq, pendant deux mois, dans un appartement parisien clos et croyez-moi, c’est déjà pas mal. Le chemin de l’école raconte cette débâcle.

FG : Avez-vous de nouveaux projets en écriture ?

AS : Toujours. En septembre, je sors un récit. Quelle actualité ! En 2018, mon frère Guillaume, chercheur à Necker-Enfants malades a découvert le traitement pour une maladie orpheline abominable qui provoque des déformations sur tout le corps, le Syndrome de Cloves. Bien souvent, les patients meurent avant d’atteindre l’âge adulte. Son traitement provoque des effets spectaculaires, les masses fondent, les douleurs s’estompent. J’ai rencontré les familles de patients, j’ai visité son laboratoire, je l’ai interviewé et j’ai raconté cette histoire hors norme dans un livre. Il sortira chez Hygée éditions. C’est une aventure humaine, scientifique et médicale exceptionnelle. Je suis très fier de mon frère, c’est l’occasion de rendre hommage aux soignants et aux chercheurs, dont on a pu mesurer l’importance.

FG : J’ai hâte de le lire… Dites-moi : votre recueil s’intitule « Le bruit du rêve contre la vitre », votre chronique sur YouTube s’appelle « Ne laissez pas vos rêves sans surveillance ». Est-ce que vous dormez bien la nuit ?

AS : C’est une thématique qui me hante. L’enfance, les rêves, le passage à l’âge adulte… Comment se respecte-t-on ? Comment ne pas (trop) se trahir en grandissant ? Si je rencontrais l’enfant que j’ai été, est-ce que je serais fier de ce que je suis devenu ? Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Les questions sont innombrables, je passe mon temps à m’interroger et à angoisser. L’écriture est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour apaiser cela. Ceci dit, vivre avec moi ne doit pas être facile…

FG : Axel, j’aimerais que vous nous fassiez « entendre » la mélodie de votre écriture.

AS : Il s’agit d’un extrait de la nouvelle qui donne son nom au recueil :

Le plafond du camion était ponctué d’éraflures. On avait dû souvent s’y battre et perdre j’imagine. À un moment, la médecin a eu une réaction incontrôlée. Le conducteur a pris trop brutalement un dos d’âne, l’habitacle a rebondi et elle a bougonné, oh, pas grand-chose, quelques sons mastiqués au fond de la gorge mais qui me l’ont rendue humaine. Sans raison, elle s’est alors penchée vers moi, l’air soucieux. J’ai deviné ses lèvres qui s’agitaient derrière son masque. Je voyais bien qu’elle me parlait mais ses mots tombaient comme dans un puits et me parvenaient de plus en plus éloignés. Une pellicule transparente a alors recouvert l’espace. Les sons ont été avalés, le monde s’est vautré dans une substance cotonneuse et j’ai glissé hors de mon corps.

FG : Merci beaucoup, Axel Sénéquier, pour cet extrait qui donne très envie de se plonger dans votre livre. On trouve Le bruit du rêve contre la vitre en librairie mais on peut aussi le commander sur le site des éditions Quadrature dont on rappelle qu’elles sont une référence quand le monde de la nouvelle francophone.

Je vous recommande d’aller visiter la chaîne Youtube d’Axel Sénéquier Ne laissez pas vos rêves sans surveillance.

Et je vous renvoie également à cette interview que nous avions faite lors de la sortie de son Manuel de mise en scène que j’avais trouvé tout à fait passionnant.

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